CHRONIQUES SEDANAISES I

21 septembre 2024

Il y a 100 ans, le « Bourrelet » sortait de terre (1924 -1936), le stade oublié

Clin d’œil de l’Histoire : Les travaux d’aménagement sur le site de l’ancien stade Emile Albeau vont (très) bientôt commencer. Ce nouveau centre d’entrainement et de formation (qui pourrait compter de deux à trois terrains, en herbe et en synthétique) a été immédiatement envisagé par le maire de Sedan, Didier Herbillon, sitôt la terrible annonce de la rétrogradation du CSSA en R3 lors de l’été 2023, et par conséquent de la perte du Centre de Vie de Bazeilles.

« L’Ardennais », 10 août 2023.

Septembre 2024… Emile Albeau va renaître de ses cendres !

Septembre 1924… L’ancêtre d’Albeau (qui s’appelait alors le stade du Bourrelet) sortait de terre !

A un siècle pile de distance, c’est donc l’occasion de remonter le temps pour revivre ce moment !

A la Belle Epoque, une multitude d’associations pratiquant le football sont créées à Sedan. Sans être exhaustif, nous pouvons citer l’éternel premier « Foot-Ball Club Sedanais » (F.C.S en mars 1901). Parmi ses successeurs, nous pouvons aussi relever que les externes du collège Turenne créent « L’équipe de la Place du Château » (en 1903), puis le « Cricket Club Sedanais » (en 1906, première équipe à arborer un écusson sur son maillot blanc) ou encore les énigmatiques « Hirondelles Sedanaises » de Torcy (en 1908).

Toutes ces jeunes formations évoluent la plupart du temps sur le terrain de Torcy ou, dans la prairie face à la promenade du Bourrelet, non loin de l’actuel jardin botanique.

Si, à chaque fois le Père Trubert (encore tout jeune à l’époque et gardien de but) est présent, Marcel Schmitt rejoint aussi le « Racing Club Sedanais » (fondé en 1911 au café Richoux, place du Rivage). C’est d’ailleurs ce R.C.S (jouant en vert et noir) qui, en fusionnant avec le Stade Sedanais (hypothétiquement en maillot rouge ?) et avec l’Union Sportive de Balan (s’affichant en blanc et noir), donnera naissance après-guerre à l’Union Athlétique Sedanaise (l’U.A.S.).

Commençons notre visite du souvenir :

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, les deux premiers stades sedanais - plus ou moins oubliés de la mémoire collective des supporters ardennais – vont s’élever !

D’abord, le stade Jean Stackler (1919-1924) sur lequel nous reviendrons dans un prochain épisode.

Et donc, le stade du Bourrelet, inauguré le 21 septembre 1924, soit il y a 100 ans pile.

Sans oublier un autre stade qui… n’a jamais vu le jour !

Ce cliché datant de la seconde moitié de la décennie 1950 (après 1955), englobe la totalité de l’espace où ont existé les différentes enceintes sedanaises au XXème siècle. Nous pouvons observer le terrain d’entrainement (au premier plan, à gauche, derrière la Grande Tribune d’Albeau) où fut édifié le premier stade sedanais (dit Jean Stackler), et où sera un jour construit l’actuel stade.

Le stade du Bourrelet – deuxième enceinte sedanaise -  se situait exactement au même endroit que l’ancien stade Emile Albeau. Le Bourrelet est en fait sa première appellation. Le changement de nom ayant eu lieu en 1936.

En-tête d’un courrier de l’UAST (dans les années 1930) dont le siège social est le stade du Bourrelet.

A la fin du XIXème siècle, le député-maire de Sedan Auguste Philippoteaux (de 1855 à 1873 et de 1876 à 1883) – également vice-président de l’Assemblée nationale – et l’architecte Edouard Depaquit ont totalement repensé leur ville : Une immense transformation urbaine se déroule dans la cité de Turenne entre 1877 et 1884. Il s’agit de faire surgir une ville nouvelle à côté de la ville ancienne après l’arasement de l’enceinte fortifiée.

L’un des plus gros chantiers fut l’aménagement d’une nouvelle artère principale, d’abord dénommée l’Avenue du Ménil avant de prendre le nom de l’Avenue Philippoteaux en 1887, longue à l’origine de 1 km 500, puis portée à  2 kilomètres. Cet axe total nord-sud est vital pour Sedan, et se dirige jusqu’au pont de la Gare.

Il a nécessité l’arasement du Bastion de Turenne et l’aménagement des Fossés entre le quartier actuel de la Z.U.P du Lac et la Meuse, entre autres par le remploi des énormes déblais tirés des destructions…Tout au long de l’avenue furent prévues des rues adjacentes pour servir d’articulations entre l’ancienne et la nouvelle ville (1) :

Il existe ainsi,  à Sedan, une rue Berthelot, appelée auparavant rue des Fossés.  Elle longeait feu le stade Emile Albeau et la petite tribune en pierres meulières. Elle a été ouverte à l'emplacement d'un "Bourrelet" de terre.  Celui-ci faisait office de digue contre les crues de la Meuse et de ligne de défense avancée devant les remparts. Peu après la guerre de 1870, tous les ouvrages militaires de la partie sud de Sedan ont été rasés afin de permettre l'extension de la ville. Ils ont donné leur nom à des rues ou à des quartiers, comme le "Bourrelet"  ou la "Rue des Fausses Braies", par exemple (2). Avant la Grande Guerre, l’aviateur André Noël avait espéré la construction d’un aérodrome sur le terrain du Bourrelet !

Le photographe sedanais Willeme a immortalisé ces travaux :

Le Bourrelet en 1878

A gauche, la promenade du Bourrelet dit « La Digue », futur emplacement du stade éponyme. A droite, l’avenue Philippoteaux (septembre 1879).

Vue inversée par rapport à la précédente photo : A gauche, l’arrivée de l’avenue Philippoteaux, en direction du Pont de la Gare. Au centre « la Digue – le Bourrelet » (où s’élèvera le futur stade éponyme puis « Emile Albeau »). A droite, le lieu où sera aménagé le premier stade « Jean Stackler », puis l’actuel « Louis Dugauguez ». (Photo datée d’août 1881).

Avec les crues de la Meuse, et le gel en hiver, les Sedanais s’adonnent souvent au patinage au niveau de la Digue, rue Berthelot.

A défaut, c’est surtout le lieu de la promenade dominicale.

Après le stade Jean Stackler, une réflexion a lieu à Sedan pour choisir un nouveau lieu d’implantation pour un stade. En effet, un des problèmes récurrents dans la sous-préfecture des Ardennes est l’eau, la proximité de la Meuse et en conséquence les fréquentes inondations. Dans les années 1922 et 1923, nombre de matchs sont annulés en raison d’un terrain impraticable…

La municipalité sedanaise a conscience de la situation et propose aux joueurs de l’UAS de jouer de temps à autre sur un… terrain vague, dans le prolongement du boulevard Fabert, vaguement protégé par une digue-promenade allant du jardin botanique au bord de Meuse (3).

Cette question du terrain pour l’équipe sedanaise devient même un sujet de discussion lors de la campagne électorale d’après-guerre.

D’ailleurs, un fait peu connu des Sedanais, est que l’attribution de ce nouveau terrain (à la très longue destinée, le Bourrelet puis Emile-Albeau étant le lieu des footballeurs sedanais jusqu’en l’an 2000) fut même à l’origine d’une grave crise municipale – révélée par l’hebdomadaire Le Réveil de Sedan du 22 août 1920 – amenant à la démission du maire-avocat Francisque Dalboy en 1920! Celui-ci aurait en effet préféré faire construire le « stade du… Champ-de-Mars » et ce malgré l’opposition de son conseil municipal. Au final, le stade du Champ de Mars n’a jamais vu le jour… Si on s’en réfère à la topographie de la ville, l’élu sedanais avait sans doute des vues vers la rue et le jardin portant le même nom… (4)

Courrier adressé à la municipalité sedanaise par le Président Marcel Schmitt, en date du 18 septembre 1920, demandant l’utilisation de la Promenade du Bourrelet. Il est intéressant de remarquer le tampon « U.A.S » plaqué sur un en-tête où est inscrit « Racing Club de Sedan ».

Bref, le terrain Jean Stackler étant totalement inondé tout l’hiver 1923, l’UAS obtient – enfin ! -  en mars de la même année l’autorisation d’utiliser le terrain dit du Bourrelet. Il ne reste plus qu’à l’aménager :

Quelque temps plus tard, l’hebdomadaire Sedan Républicain (édition du 14 septembre 1924) annonce que « le stade de l’U.A.S est terminé et (…) que le 21 septembre fera date dans l’histoire du sport ardennais. Après une année de labeur (…) l’U.A.S est arrivée à doter Sedan d’un magnifique terrain de jeux à un endroit où il existait qu’un terrain vague. Maintenant les vert et rouge sont chez eux ».

Ce nouveau terrain mesure 90 mètres sur 60. Une palissade est construite, et le passage sur la digue est interdit les jours de match afin d’assurer un maximum de recettes. Le club s’est également doté d’un club house, une salle de réunion, deux vestiaires, une buvette et d’un logement pour le concierge.

L’inauguration officielle du stade du Bourrelet a donc lieu le 21 septembre 1924 :

Titre du « Petit Ardennais », daté du 22 septembre 1924.

Le Petit Ardennais nous informe que « l’assistance y est nombreuse, malgré la pluie ». Parmi les officiels, sont présents le sous-préfet (Monsieur Jouve), le sénateur-maire de Sedan (Monsieur Charpentier), un certain… Emile Albeau, conseiller général, le capitaine de garnison Dautel et quelques officiers.

Il y eut deux matchs en ce jour d’inauguration : Hirson bat l’équipe B de l’UAS (1-0). Quant à l’équipe première sedanaise, elle fait 0-0 contre Messine au cours d’une « partie extrêmement bien jouée ».

Les festivités furent très nombreuses à côté de ces deux parties de football avec notamment les gymnastes de la Société de gymnastique et d’escrime de Sedan, la société de Préparation militaire « le Drapeau tricolore », le tout accompagné avec le concours de l’harmonie des sapeurs-pompiers : Javelot, courses à pied, exercices de bâton, démonstration d’éducation physique… « Le public applaudit vivement » !

C’est donc cette équipe sedanaise (saison 1924/1925) qui participa au grand début du second stade sedanais de l’histoire : On peut reconnaitre par exemple à l’extrémité gauche le président-fondateur Marcel Schmitt, les frères Vautelet (6ème et 8ème en partant de la gauche), « le père Trubert » (9ème), le gardien Rudler (10ème).

Si cette photo date de 1935, elle illustre une fête de la jeunesse. A l’arrière-plan, la (future) petite tribune n’existe évidemment pas encore ! (Collection J. Barilly)

Pour terminer cette journée de fête de 1924, le président sedanais, Marcel Schmitt, offrit le vin d’honneur pour « la prospérité de l’U.A.S et aux succès de son nouveau terrain si bien aménagé ».A noter qu’André Trubert se voit confier la responsabilité de la direction du stade.

Un match au Bourrelet en 1926 (collection Claude Lambert)

L’U.A.S saison 1926/1927. On s’aperçoit que le terrain du Bourrelet est intégralement caché par une haute palissade sur laquelle les commerçants sedanais pouvaient faire de la publicité pour leurs affaires (Collection Claude Lambert)

D’autres aménagements auront lieu dans les années suivantes : Comme le rapporte l’édition du « Petit Ardennais » (ci-dessous, daté du 10 septembre 1926), on peut citer en exemple l’installation de douches, la clôture avec des dalles de béton (de 2,5 mètres de haut sur la toute la superficie de 130m X 98m) du périmètre du stade, ou encore la construction d’une tribune en bois, le long de la promenade du Bourrelet, en 1927 (5).

La première tribune construite dans un stade sedanais au Bourrelet. D’ailleurs, elle connaitra un premier agrandissement dans les années 1930. Elle se situe à l’endroit où sera érigé la Grande Tribune d’Albeau (en 1955) ou encore la 4ème tribune de Dugauguez, dite tribune Nord (en 2001).

Même orientation visuelle avec la Grande Tribune d’Albeau en 1955 (Fonds Roger Vincent – Médiathèque de Sedan).

Même angle de vue contemporain, qui donne sur l’arrière de la 4ème tribune de l’actuel stade (DR, février 2022).

Enfin, il faut préciser que parmi les autres réorganisations du site du Bourrelet, le terrain fut légèrement décalé d’une quarantaine de mètres en direction de la Meuse pour permettre l’édification d’un vélodrome, juste à côté, en 1933.

L’UAST version 1933/1934 utilisait probablement un ancien baraquement allemand datant de 1914 pour faire office de vestiaire (côté rue Berthelot). Situé dans un premier temps au niveau de la ligne médiane, il se retrouva dans un coin du stade après le décalage du terrain lors de la construction du vélodrome (Collection Claude Lambert).

Dans sa brève histoire sportive d’une douzaine d’années, ce lieu de mémoire du football sedanais que fut le stade du Bourrelet voit l’U.A.S, devenue l’U.A.S.T en 1928, évoluait, en amateur, dans le championnat départemental des Ardennes (essentiellement en 1ère série). Son principal fait glorieux est l’accession de l’équipe de Sedan en « Promotion » lors du printemps 1932 sous la présidence de Philippe Ninnin, après avoir échoué à la 2ème place du championnat des Ardennes en 1930.

Pour ses débuts  en Promotion, le 25 septembre 1932, dans un match « longtemps indécis et âprement disputé », l’UAST, emmenée notamment par Minet, Petitjean et Bertrand,  a battu Givet 1-0 grâce à un but de Lejeune.

En Coupe de France, le Bourrelet ne connait guère que des rencontres de premier ou de second tour. L’un des moments les plus marquants, le 8 octobre 1933, est la qualification de l’UAST pour le 3ème tour en battant le Club Sportif Orne 1919 Amnéville 5-4.

D’ici quelques mois, les jeunes footballeurs sedanais de l’an 2024 vont de nouveau fouler les pelouses de ce lieu historique. Cinq lustres après la disparition du stade Emile Albeau, descendant du Bourrelet, redevenu un terrain vague, le réaménagement du site est synonyme d’éternel recommencement pour le club de football de Sedan !

Thomas DELAGE (Professeur d’Histoire)

Prochain épisode : Le stade vélodrome sedanais !

Pour aller plus loin :

1) Jacques Rousseau, Sedan, ville nouvelle (2000). 2) Gérald Dardart, « Le jardin botanique, un creuset de verdure au cœur de Sedan », Sedan Magazine, n°108, août 2013. 3) « Le premier stade… », L’Ardennais, 7/04/1996. 4) Olivier Laurant, « L’aménagement du Bourrelet, futur stade Emile Albeau », Le Pays sedanais, n°37 (2019). 5) Claude Lambert, « Il y a 78 ans…le stade du Bourrelet », allezsedan.com, rubrique « Chronique du passé », 20/09/2004.